Agnès Courbarien a, pendant presque vingt ans et jusqu’à très récemment, exercé des mandats comme déléguée syndicale ou représentante CFTC au sein de la filiale française de SAP. Elle revient pour nous parler sur cet éditeur de progiciel SAP et de l’ERP qu’elle commercialise et sur les choix de cette entreprise allemande de revenir sur le télétravail. Premier éditeur de logiciels en Europe et quatrième dans le monde, SAP qui emploie plus 106 000 personnes dans le monde, a annoncé vouloir mettre un terme ou fortement limité le choix du télétravail. En effet, en février, SA World a intimé à ses salariés dans le monde entier de retourner au bureau ou de travailler depuis les installations d’un client a minima 3 jours par semaine. Christian Klein, directeur général de SAP, a ainsi déclaré : « Je ne crois pas vraiment qu’une plateforme de vidéoconférence permette de comprendre notre culture, de se former et de se donner les moyens de faire son travail au mieux. »
Que pensez-vous de cette injonction de retour au bureau décidée par SAP ?
Cette préconisation a été effectuée au niveau monde. Pour le moment, en dehors de cet effet d’annonce, nous ne constatons pas encore de changements en France.
Quelle est l’attitude des dirigeants français de SAP ?
Les dirigeants français semblent plus modérés et pragmatiques dans la façon d’appliquer cette menace. Nous pourrions encourir le risque de voir de nombreux salariés de valeur et d’expérience quitter la société comme l’indiquent les signataires de la pétition. Ceci est dû au fait qu’une partie sensible des effectifs a profité de la mise en place du télétravail massif engagé lors du Covid pour s’éloigner notamment de la capitale et s’installer en région pour profiter du coût de la vie moins élevé. Avec un nouvel équilibre vie professionnelle/vie privée beaucoup plus satisfaisant d’après les échos que nous avons.
Les salariés français sont-ils à l’abri d’un retour forcé au présentiel ?
En France la question du retour contraint au bureau ne s’est pas encore posée. Il existe déjà un accord pour gérer le télétravail qui tient compte des besoins du service et délègue au manager de l’équipe l’autorité qui permet un mix harmonieux entre présence au bureau et télétravail. Jusqu’ici, cela semble avoir plutôt intelligemment fonctionné de la sorte. Nous ne sommes cependant pas à l’abri de la mise en place de mesures plus coercitives ou punitives, s’il fallait faire acte d’allégeance à cette décision du “board” de façon plus tangible ! Nous nous interrogerons alors sur le bon sens et la logique d’avoir abandonné une partie des m2 que nous occupions dans la Tour SAP… pour des raisons d’économies réalisées grâce à ce même télétravail.
Est-ce que ce niveau de stress élevé peut expliquer les risques de RPS que vous avez relevés, un véritable danger dans la profession ?
C’est exact, ce niveau de stress, effectivement récurrent dans la profession, semble de plus en plus important dans notre entreprise. Pour la CFTC, le nombre anormalement en hausse de suicides et de décès prématurés ces derniers mois (au moins 5 en six mois) pour un effectif de 1 650 personnes dans notre filiale nous est apparu comme un malheureux révélateur.
L’entreprise renvoie à la complexité multifactorielle de ce type d’acte dans le cas des suicides mais la réalité des faits sur le sujet met de plus en plus en évidence sa part de responsabilité ou culpabilité ! Sinon pourquoi aurait-on censuré, avec l’approbation des élus majoritaires, le procès-verbal du CSE dans lequel l’expert – fût-il payé par la direction ! – mentionnait que depuis trois ans, l’employeur avait connaissance que l’équipe était sous tension non plus quinze jours par trimestre, mais de façon permanente ?
La CFE-CGC a opposé, à un élu CFTC qui demandait des justifications sur ces suppressions dans la version publique, que cette censure était légitime, parce qu’elle concernait la « vie privée de salariés ». Un représentant du personnel a même osé évoquer, en marge de la réunion, que compte-tenu des informations auxquelles il avait eu accès, la situation future pourrait s’apparenter à celle tristement vécue par les salariés d’Orange, parce qu’il avait connaissance de nombreux salariés en souffrance. Mais il semblerait que reconnaître et oser parler de suicide pourrait inciter d’autres passages à l’acte… et qu’il était préférable de préserver le silence.
Mais lorsqu’un employeur, à l’abri derrière le « barême Macron » continue de procéder à des licenciements sans cause de salarié(e)s qui ont plus de dix ou quinze ans d’ancienneté et qui, souvent, dépassent même les objectifs assignés, croyez-vous que cela ne soit pas générateur de mauvais stress pour chaque salarié(e) survivant(e) ?
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