La crise sanitaire a transformé les pratiques de travail, brouillant les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle. Cette évolution soulève la nécessité de trouver un équilibre entre les deux sphères. Les changements actuels dans l’organisation du travail, comme l’usage croissant des technologies, le travail nomade et hybride, ainsi que la sous-traitance généralisée, répondent aux besoins des travailleurs et offrent aux entreprises des opportunités de réduction des coûts et de flexibilité. Cependant, cela pose des questions sur la manière de comptabiliser les trajets domicile-travail et sur la redéfinition des normes de travail.
Plusieurs initiatives n’ont pas attendu les évolutions jurisprudentielles. La Commission Travail Emploi du CESE* est en train d’évaluer les impacts des nouvelles pratiques.
Le télétravail défini dans l’Accord National Interprofessionnel de 2005 ; puis repris dans celui de 2020, est encadré réglementairement et conventionnellement et limité en nombre de jours et doit être assorti d’une prévention des risques, de soutien organisationnel, de gestion des temps et de charge de travail ainsi que de droit à la déconnexion. Les Français seraient les moins télétravailleurs en Europe (15% contre 20% en moyenne). Le télétravail reste avantageux pour les salariés sur deux jours par semaine ; au-delà il présente des risques de sur-travail avec des conséquences sur la santé, ainsi qu’un risque de fragilisation des équipes et de l’entreprise, dont la responsabilité peut être mise en cause. 500 des 3 000 accords signés depuis 2020 cherchent ainsi à maintenir un collectif de travail.
L’individualisation des horaires, permise par les dérogations légales au temps de travail, voit de plus en plus le jour, y compris dans des groupes industriels. Une organisation souple du temps de travail avec moins de contrôle du temps de travail permet à l’entreprise de se focaliser davantage sur le résultat du travail et aux salariés sur une organisation en fonction de leurs besoins personnels. Il s’agit, évidemment, que les besoins des uns et des autres se rencontrent à un niveau raisonnable et négocié.
Parmi les régimes dérogatoires, le forfait-jours est loin de faire l’unanimité. Inégalitaire (il concerne 13 % des salariés et presque la moitié des cadres), parfois déployé sans répondre à la contrepartie d’autonomie dans le travail, il occasionne de gros dépassements des limites de la durée de travail et fait peu l’objet de contrôle de la charge de travail, ce que la Cour de Cassation n’a pas manqué de relever.
La banque des temps a été introduite en France en 1994 par la forme légale du Compte Épargne Temps, qui a connu des aménagements successifs. À ce jour, 8 000 accords d’entreprise et 13 accords de branche permettent à certains salariés, principalement dans les grandes entreprises et exerçant des métiers qualifiés, d’épargner des jours (10% soit 7 jours en moyenne constatés par an) pour les utiliser pour des motifs variés en fonction des possibilités ouvertes dans chacun des accords, jusqu’à l’utilisation solidaire pour des collègues. Son utilisation se fait principalement en fin de carrière, avant le départ en retraite. Très inégalement réparti selon les secteurs, il fait l’objet d’une réflexion actuelle sur son universalisation.
L’expérimentation de la semaine de 4 jours et du travail flexible en Europe ne concernerait que 8% des actifs (enquête Eurofound 2021), la Belgique étant le seul état membre à avoir légiféré. Les entreprises avancent en ordre dispersé sur ce sujet et une grande diversité d’organisation (21 à 34h travaillées sur la semaine pour 40%, 35 à 40h pour 30% et 40 à 48h pour 15%, une partie à temps partiel) prévaut. Si l’expérience anglaise 4 Day Week Global a maintenu la performance et généré des satisfactions pour les salariés, ces derniers évoquent une intensification du travail, la persistance des inégalités de genre. En Italie, en France, au Portugal et en Espagne, les expériences, avec ou sans accompagnement financier, semblent encore plus mitigées. Elles ne correspondent pas à toutes les catégories de métiers, ni à toutes les organisations personnelles et familiales et occasionnent une intensification du travail, d’autant plus pour ceux qui cumulent un autre emploi le cinquième jour pour améliorer leur pouvoir d’achat !
La CFTC privilégie, bien sûr, plutôt qu’une densification du travail sur 4 jours, une négociation sur la réduction du temps de travail avec maintien de salaire et un accompagnement par l’ANACT.
Une nouvelle équation paraît, celle d’une demande de plus de liberté et d’autonomie dans l’articulation des temps de vie sans nuire au collectif de travail. Comme la CFTC le souligne dans son dossier sur l’articulation des temps de vie, conjuguer ces contraintes va nécessiter de travailler principalement sur l’évaluation de la charge de travail, mais aussi sur les éléments plus exogènes de temps de trajet, de charge domestique et les stéréotypes de genre, le soutien par des infrastructures de logement et de prise en charge de la petite enfance et la prise en compte des temps d’engagement citoyens de bénévolat et d’aidance. Toutes ces évaluations nécessitent, en fin de compte, un dialogue social fort et responsable de part et d’autre, ainsi qu’un peu de recul sur l’impact des expérimentations sur la santé des salariés. La réflexion est en cours.
Rendez-vous le 23 avril sur le site : https://www.lecese.fr/ pour découvrir les préconisations du CESE* et la déclaration CFTC.
*Conseil Economique Social et Environnemental
FOCUS SUR LA CONSULTATION CITOYENNE EN LIGNE DU CESE DE JANVIER 2024
Sur près de 10 000 répondants :
Forfait jours : 59% des participants qui l’ont testé disent qu’il n’améliore pas l’équilibre de vie personnelle/ professionnelle.
Déconnexion : 49% ne veulent pas être dérangés en dehors des horaires de travail collectifs (ce sont pour 52% des célibataires et couples sans enfants, 58% des 26-35 ans, 53% des employés et professions intermédiaires, 52% des ouvriers) et 51% préfèrent décider des moments où se connecter et déconnecter.
Télétravail : apprécié par les bénévoles et engagés 55%, par les cadres 53% et les travailleurs indépendants 63%.
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